Je vis dans cette génération où tu passe ton temps à faire des fêtes, à boire, à fumer, à prendre de la drogue et à coucher avec n'importe qui juste par ce que tu veux avoir l'impression d'être quelqu’un d'autre que la personne inutile que tu es réellement. Cette personne pleine de problème qui essaie de faire comme si rien ne pouvait l'atteindre alors qu'en fait elle en peut plus de respirer parce que ça devient de plus en plus difficile et douloureux à chaque inspiration. Parce qu'en réalité c'est trop dur pour cette personne de voir les autre rire autour d'elle comme si on vivait dans un monde tout simplement dérisoire mais c'est pas le cas. Moi je suis un énorme fêtard parce que d'une certaine façon ça me sauve. Faire de trucs débiles c'est ma vie parce que justement, moi, j'en ai plus de vie. Je cache mes soucis derrière des sourires. Je dis que je vais bien parce que c'est plus facile. Mais le pire c'est que c'est encore plus facile pour les autres de me croire plutôt que de chercher à m'aider. Je suis pas un drogué, ni un accro à la colle, je suis pas non plus dépressif ni suicidaire, non, je suis juste horriblement réaliste dans notre réalité à nous les jeunes, même si elle n'est pas vraiment réelle. J'ai plus rien pour me ramener à une autre réalité que celle que je me suis crée. Les gens comme moi ne deviennent personne et, ma génération, elle en est vraiment pleine de gens comme moi. Je crois que c'est ça le pire en fait. J'aime tellement être personne parce que c'est facile. Tu n'es pas obligé de t'attacher au gens quand tu n'es personne. Tu n'es pas obligé de souffrir à cause des autres quand tu n'es personne. Tu dois juste penser à rester personne pour tout le monde parce qu'à partir du moment ou tu deviens quelqu'un, tu es obligé de raconter ton histoire. Mon histoire elle craint et je ne veux en parler à personne. Je suis venu faire des études ici parce que je pensais que ça allait m'assagir, m'apporter quelque chose et que, du coup, j'allais me concentrer sur mes capacités artistiques par ce que l'art c'est ma façon à moi d'être intelligent, mais je me suis rendu compte que j'en avais rien à faire d'être intelligent ou attardé. Moi je veux juste m'amuser et oublier tout le reste. Je veux juste pouvoir vivre ma courte vie à fond.
La vie dans l'orphelinat était particulièrement déplaisante. Personne n'aurait jamais pu souhaiter vivre là-bas. C'était un lieu empli de misère, de peur, de méchanceté. J'étais un de ces enfants que les autres s'amusaient à martyriser, un de ceux qui partaient se réfugier dans ces espèces de dortoirs qui servaient de chambres où les lits superposés étaient entassés pour pouvoir en caser un maximum. Je marchais jusqu'au débarras, déplaçais un vieux meuble en bois et poussais la petite trappe. Je me glissais dedans et arrivai dans une pièce étriquée éclairée par la seule lumière du jour. La première fois que je m'y étais rendu, il y avait un chevalet orienté de façon à ce que le lumière qui émanait de dehors se retrouve exactement sur la toile. J'avais faillis perdre la bague que j'avais toujours eu avec moi en trébuchant sur un petit tabouret. La toile que j'avais trouvée ce jour-là était blanche. Seule une tâche noire en son centre était visible. J'avais longuement examiné cette toile vierge mais je n'avais jamais rien vu de plus que ce point noir. C'est à partir de ce jour que je me mis en tête de peindre des tableaux.
Deux ans plus tard, j'étais dans ce que j'avais fini par appeler mon atelier quand j'entendis la voix de la responsable, que l'on surnommait la sorcière, appeler mon nom. Je n'avais pas l'intention d'aller vers elle. Les seules raisons pour lesquelles elle appelait un enfant étaient soit qu'elle voulait le punir, soit que l'enfant en question avait trouvé quelqu'un pour l'adopter. C'est pour cela que je restai assis sur mon tabouret. Qui pouvait vouloir d'un enfant comme moi. On prenait d'abord les enfants beaux. Quelle personne voudrait d'un gosse de douze ans, la peau sur les os, loin d'être innocent, très peu sage et docile ?
« Il doit être dans le réfectoire. » Dit la sorcière. Elle s'adressait à quelqu'un, car une voix traînante et grave que je n'avais encore jamais entendue lui répondit. Je sortis de l'atelier et retournai dans le dortoir quand j'entendis la porte se refermer. Je devais rejoindre le réfectoire avant elle. Heureusement j'avais eu le temps, durant ma vie ici, de repérer les raccourcis. Je pris l'un d'eux et arrivai là-bas quelques secondes avant qu'ils n'entrent dans la pièce pleine de bruit. La gérante marchait à côté d'un homme grand et imposant. Il avait des cheveux blonds et une barbe courte. Il s'avancèrent vers moi et je dus les suivre dans un bureau que je connaissais maintenant plutôt bien. Je m'assis sur la chaise à côté de l'homme qui m'était toujours inconnu.
« M. Denirson veut t'adopter. Apparemment il serait le frère de ta mère décédée. Et les papiers sont en règle donc je n'ai rien à redire va chercher tes affaires tu pars tout de suite.» Mes seules affaires étaient mes toiles et quelques vêtements que je rangeai dans un vieux sac. Sans dire au revoir à personne je m'en allais avec ce M. Denirson. Cet endroit n'allait pas me manquer.
Cela faisait maintenant trois ans que je vivais avec celui que j'avais fini par appeler tonton. Le seul fait de m'habituer à ce lien familial tout nouveau pour moi m'avais pris près d'un an. L’appellation
'papa' n'était clairement pas au programme. Nous étions tous deux d'accord sur ce fait. On parlait souvent de ma famille, celle que je n'avais pas connue mais que lui avait eu le temps de connaître. Il me dit que ma mère était décédée dans un accident et mon père n'avait pas trouvé le courage de m'élever seul et était parti. Nous avions construit un atelier sur le toit de l'immeuble. C'était une sorte de cabane en bois avec des petites fenêtres. Il n'y avait pas l'électricité dedans, je m'éclairai donc à la bougie. Je me souviens du jour où mon oncle était venu téléphoner en haut sans qu'il ne sache que j'étais là.
« Je te l'amène tout de suite mais il faut que tu ai l'argent sinon peux te jurer que tu auras des problèmes. » Ce n'était peut être que des brides de conversations mais j'étais assez intelligent pour me rendre compte qu'il avait des ennuis.
Cela faisait plusieurs minutes que je le suivais à travers les rues de Princeton en pleine nuit. Alors qu'il tournai dans une ruelle, un homme arriva derrière lui. L'homme sortit une arme au bout de quelques secondes à peine et la pointa sur mon oncle. Celui-ci tenta de calmer son agresseur, de lui parler gentiment. Mais rien n'y fit. La détonation me perça les tympans. L'homme s'approcha de sa victime, pris quelque chose dans sa poche et s'éloigna du corps inanimé de mon oncle. Je restai figé, la peur paralysait mes membres, la peine et le choc aussi. Quand ces émotions se dissipèrent un peu, j'appelai les secours mais je savais que c'était trop tard. Je m'écroulai sur le sol et restai là, pleurant toutes les larmes de mon corps dans le froid de cette nuit.
Tous les muscles de mon corps me brûlaient. Je sentais le sang battre dans mes tempes. C'était tellement bien comme sensation. Des enceintes crachaient du son à plein poumons, je n'entendais plus rien d'autre. J'étais comme transporté. Ce devait être l'effet de la cigarette et de l'alcool. Et puis, il y avait cette fille qui me regardai là-bas. Elle était super jolie. Je ne pouvais m'empêcher de lui sourire. J'étais peut-être défoncé mais je ne perdais pas mon charme pour autant. Je m'approchai d'elle lentement, poussant les gens qui gênaient mon passage. C'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de place sur le toit de mon immeuble, surtout avec l'atelier. J'arrivai au niveau de la fille et dansai avec elle. Elle, elle était bourrée, elle me le prouva quand elle se mit à vomir sur la personne à côté d'elle. Je fis une grimace de dégoût mais ne pus réprimer un éclat de rire. Le mec plein de vomi ne trouvait apparemment pas cela drôle, lui. Il me poussa jusqu'à la porte de l'atelier et me fracassa une bouteille de bière sur la tête. J'étais sur le point de m'évanouir mais je réussis à la voir sortir un briquet et le lancer dans la cabane de bois. Mes toiles prirent feu directement, je savais très bien que je ne pouvais pas arrêter les flammes. Alors c'est ça que l'on ressentais quand on se rendait compte qu'on avait déjà tout perdu à seulement dix-huit ans.
Il m'avait tout laissé, mon oncle, absolument tout. Son appartement, sa voiture, son argent. Je me remémorai son enterrement ou j'étais venu en tenue décontractée car je n'avais trouvé aucun costume qui trouvait grâce à mes yeux. Cela avait été l'action la plus puérile et égoïste que j'avais fait jusque là et je m'en rendais compte maintenant. Je m'étais inscrit à l'université en espérant changer, devenir quelque chose de bien mais en fait ça ne m'avais pas apporté autant de choses que je l'espérai. Je me sentais toujours aussi seul et le seul moyen de faire passer ça était de faire de plus en plus de fêtes, de plus en plus souvent. J'ai donc continué comme cela durant les trois années précédentes, suivant les cours du mieux que je le pouvais malgré mes gueules de bois quotidiennes.